jeudi 20 mars 2014

Tribune de Laurent OTT




LAURENT OTT, PHILOSOPHE, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION INTERMÈDES ROBINSON.

Cessez, Monsieur Valls, de nourrir les fantasmes et les préjugés ! Stigmatiser les Roms tout en exigeant leur intégration, est-ce  vraiment sérieux ?

Monsieur Valls, je ne sais pas qui sont les Roms dont vous parlez quand vous dites à leur sujet qu'ils ne veulent pas s'intégrer. Je ne connais pas les Roms en général, Monsieur Valls, car je ne vois pas
très bien de qui vous parlez : Roumains, Bulgares, citoyens européens ? Ou simplement Tziganes, et alors il faudrait étendre cette catégorie à bien d'autres appellations... Je ne connais pas les Roms dont vous parlez, mais vous les décrivez comme si tout le monde les connaissait bien. Vous les évoquez comme s'ils étaient nos voisins. Quand vousparlez des Roms Monsieur Valls, vous avez cette prétention, et cette suffisance que l'on rencontre fréquemment, en particulier chez ceux
qui n'ont jamais eu l'occasion de leur vie de simplement discuter, partager un repas, un abri, et de passer du temps avec ces personnes.

Mais ce qui est plus dérangeant encore, Monsieur le ministre, c'est que tout ce que vous évoquez est contraire à la triste et terrible réalité qu'affrontent en ce moment dans notre pays des milliers de
citoyens européens, juste parce qu'on les caractérise de Roms.

Comment peut-on accuser de ne pas vouloir s'assimiler ceux qui ont tout laissé dans leur pays pour venir en France dans des conditions des plus précaires ? Comment pouvez-vous accuser de ne pas vouloir s'intégrer toutes ces familles qui donnent, pour la plupart - je vous le signale au passage - des noms français à tous leurs derniers-nés sur le territoire ? Et surtout comment pouvez-vous, osez-vous prendre prétexte de leur misère imposée, les statuts dérogatoires et inéquitables dans lesquels on les cantonne, pour démontrer cette soi-disant inadaptation ? Monsieur le ministre, notre association Intermèdes Robinson, prix des droits de l'homme de la République française, n'est pas une association de défense des Roms ou des Roumains ou des étrangers migrant en France.

Elle n'est en rien spécialiste par ailleurs de la culture tzigane, et ne se prétend pas non plus spécialiste de certaines cultures, histoires ou groupes ethniques. Non, c'est juste une petite
association locale d'habitants qui réalisent des ateliers et des activités d'éveil ouverts à tous, dans les quartiers de nos villes.

Parce que les enfants des bidonvilles étaient souvent privés de possibilité réelle et concrète de se rendre à l'école, surtout maternelle, parce qu'ils n'accèdent en général pas aux structures de
loisirs, de culture, sociales, sportives ou d'éducation, ouvertes normalement à tous les enfants ; parce qu'aucun enfant n'est, jamais, par définition,  « sans papiers » ou sans droit de séjour, parce qu'ils sont toujours par définition de tout pays dans lequel ils grandissent... nous avons voulu apporter ces activités et ces ateliers d'éveil au plus près des familles et de ces enfants.

Monsieur Valls, venez voir les enfants de notre association. Ceux du bidonville de Moulin-Galant (Essonne, communes de Villabé et Ormoy), actuellement menacés d'expulsion, parlent tous parfaitement français. Ils ont des amis, des camarades dans notre association de toutes
origines. Ils participent à nos ateliers, à nos activités. Ils s'acharnent, Monsieur le ministre, à continuer d'aller au collège alors qu'ils y sont parfois victimes de moqueries et de mauvais
traitements.

Ils dansent sur les mêmes musiques que leurs camarades et se reconnaissent dans les mêmes éléments de  « culture jeune ». Venez voir nos ateliers, Monsieur le ministre, et venez rencontrer Iasmina Dragomir, dix-neuf ans, première service civique roumaine d'origine rom, qui a travaillé douze mois dans notre association et qui s'y engage encore bénévolement. Venez la voir, car elle sera peut-être jetée à la rue cette semaine, alors qu'elle a été sélectionnée par l'Institut du service civique et que M. Hirsch est venu lui-même la voir dans sa caravane.

Arrêtons, Monsieur le ministre, de produire la stigmatisation que l'on reprochera ensuite à ses victimes. En interdisant aux gens de travailler, on ne prépare pas vraiment leur insertion ; en refusant des conditions d'habitat décentes, on ne prépare pas au bon voisinage ; en laissant les enfants sans perspectives ni moyens d'accéder à la socialité et à la culture, on ne prépare pas en France des lendemains qui chantent et on produit certainement la marginalisation qu'on
prétend dénoncer.

Arrêtons la logique du pire, Monsieur Valls. Ce n'est pas à un ministre, à un homme public, de discréditer des Européens, des groupes sociaux, et d'attiser les ressentiments, les stéréotypes les plus
vulgaires, en attendant la violence et la souffrance.

Nous préférons quant à nous nous attaquer aux véritables chantiers, aux véritables difficultés, à faire avancer l'éducation, le social et la cohésion sociale. Nous préférons, plutôt que nourrir les fantasmes
et les préjugés, nous attaquer aux vrais problèmes ; nous vous attendons, nous vous invitons.

« En interdisant aux gens de travailler, on ne prépare pas vraiment leur insertion ; en laissant les enfants sans perspectives ni moyens d'accéder à la socialité et à la culture, on ne prépare pas en France des lendemains qui chantent. »